Avril 2002 |
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RPR: sois jeune et tais-toi |
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Quand on aime Chirac, il faut accepter de nêtre majeur quà 30 ans. Hormis quelques dissidents, la plupart des jeunes chiraquiens font tapisserie au bal des débutants en politique. |
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par
Vincent Nguyen Article publié dans Le vrai papier journal, avril 2002
En 1995, 15000 jeunes acclament Chirac à Bercy. Pour la première fois, une majorité de jeunes Français votent pour le candidat de droite à la présidentielle. "On voulait mettre le vieux malade au placard ", se souvient avec délicatesse Bettina, qui allait distribuer des pommes à la sortie des lycées. A cette époque, Chirac incarne le "Jeune vieux qui fait marrer dans les Guignols". Contre Balladur et Jospin, le "capital sympathie" du maire de Paris a fait la différence. En 1995, les jeunes RPR revendiquent plus de 30 000 adhérents. "Chirac avait réussi le tour de force de rallier une majorité de jeunes dans leur première expérience politique, se souvient Franck Giovannucci, secrétaire national chargé de la jeunesse de 1998 à 2000. Ils ont été rapidement déçus. Par Chirac et par la politique. Et ça, c'est difficilement réversible." Les déçus de laprès-1995 Reprise des essais nucléaires, revirement sur la "fracture sociale"... En 2000, plus des deux tiers des effectifs ont déguerpi. Au moment où Stéphane Jourdain, jeune militant chiraquien de 1995, raconte ses espoirs trahis dans un livre (Génération Chirac, génération volée, Denoël), des sondages récents semblent annoncer que l'engouement d'il y a sept ans s'est tari. Les nouveaux militants affirment le contraire et décrivent un président-candidat "proche des jeunes", "sensible à leurs préoccupations", "génial", "sympa"... Qu'est-ce qu'un "jeune RPR" ? Sont considérés comme tels les adhérents de 16 à 30 ans. Officiellement, ils seraient plus de 23000. Mais une ex-militante ironise: "Au RPR, tu restes adhérent même après ta mort...". Les jeunes ont un "patron" : le secrétaire national chargé de la jeunesse (SNJ), nommé par le président du parti. Son boulot principal consiste à "construire une force militante", explique Benoist Apparu, SNJ adjoint en 1995. Il désigne et coordonne les délégués départementaux à la jeunesse (DDJ). "Le RPR est un parti très centralisé, précise Fabrice Rousseau, 31 ans, secrétaire général de l'Union des jeunes pour le progrès, une structure autonome de jeunes gaullistes proches du RPR, aujourd'hui en veille. Il y règne une culture du chef que les militants intègrent vite.". Michaël Bullara, 30 ans, conseiller municipal à Fréjus, est l'actuel SNJ, nommé en 2000 par Michèle Alliot-Marie (MAM pour les intimes). Accompagné de son chargé de communication, il parcourt la France pour diffuser la bonne parole. En accord avec MAM, ils ont décidé que les jeunes seraient leur "poil à gratter". Une antienne rabâchée depuis 1996, dans un parti où la moindre petite feuille éditée par un groupe de jeunes de circonscription doit recevoir l'imprimatur des aînés avant diffusion. En février, ils ont diffusé Paroles de jeunes, un fascicule de 28 pages qui fait la synthèse des propositions élaborées par les militants autour de thèmes proposés par la direction nationale. Exemple, la toxicomanie. Les jeunes RPR veulent mettre à l'amende les fumeurs de joints (jusqu'à 460 pour les contrevenants). Pour le parti, réticent, c'est déjà une brèche ouverte dans l'interdit. Concernant l'aide aux jeunes, le RPR n'a retenu que l'exonération fiscale des entreprises embauchant des jeunes de moins de 22 ans. "Progressiste", la jeunesse chiraquienne se veut en phase avec "l'évolution de la société et des moeurs". D'ailleurs, elle propose la "pénalisation de l'homophobie". Un sujet, hélas, "non-prioritaire" pour la maison mère. "C'est en cela qu'on est poil à gratter !" en déduit curieusement Michaël Bullara. Mercredi, cest débat-biscuits En tout cas, ils causent. Depuis octobre, ils ont leur rendez-vous hebdomadaire: les "Mercredis en mouvement". Sur le coup de 18 h 30, ils investissent par dizaines le sous-sol du siège du parti, boulevard de la Tour-Maubourg, à Paris. Biscuits apéritifs, sodas, jus d'orange et cidre les attendent sur des tables basses entourées de profonds canapés bleus. Il y a là Antoine, qu'un copain scout a décidé à venir, mais qui a déjà assisté aux meetings de Christine Boutin et d'Alain Madelin. Jessica, 20 ans, étudiante-salariée dans la pub. Patrick, chef d'entreprise autodidacte de 29 ans, qui tient à souligner que le RPR n'est pas qu'un "clan de bourges sortis des grandes écoles". Ces apéros-débats veulent incarner le nouveau visage du secteur jeunes du parti. Mais chassez le naturel... Un débat sur la santé animé par le Dr Morange, "secrétaire national chargé de la santé, médecin généraliste, maire de Chambourcy et député des Yvelines" (applaudissements), tourne vite aux travaux dirigés. Diagnostic du bon docteur : "La dépénalisation ne ferait que déplacer le curseur de l'interdit sur des substances plus toxiques. On s'acheminerait vers une population de zombies!". Géraldine Poirault-Gauvin, 26 ans, étudiante et élue conseillère du XV arrondissement de Paris aux dernières municipales, refuse de se laisser bâillonner. La direction des jeunes l'avait sollicitée, avec 16 autres militants, pour "faire valoir les propositions des jeunes RPR" lors des ateliers la convention de l'Union en mouvement (UEM) à Toulouse, le 23 février. Sur place, surprise: aucun d'entre eux n'est inscrit! Furieuse, elle questionne ses responsables qui la calment. C'est l'Union, on ne fait pas de vague. Pour elle, le fiasco ne résidait pas dans l'intrusion d'un Bayrou, mais dans le fait que le RPR jeune "n'était pas du tout apparent". A Toulouse, les ténors qui cherchaient "des jeunes" pour la photo atterrissaient dans les bras des "Etudiants avec Chirac", les potaches de l'UNI, le syndicat universitaire de droite. T-shirt blanc et rouge sur chemise à carreaux. Les médias les filmaient en train de chanter "Jacques Chiraqueueu, Oui, Jacques Chiraqueueu / famille et Tradition...", sur l'air du tube de Star Academy, la Musique. La place des jeunes durant le meeting ? Soit assis en déco de fond de scène pendant quatre heure sans broncher, avec en prime, l'estime de Renaud Dutreil: "Merci à la jeunesse, Ouaiiis!". Soit au fond des gradins, où ils avaient beau s'époumoner, ils restaient inaudibles de la scène. "Botte-le-cul-thérapie" De jeunes militants chiraquiens, lassés d'être tenus en aussi basse estime, tentent de s'émanciper à côté des partis. L'association Génération terrain a inventé le concept de "botte-le-cul-thérapie". Leur recette: beaucoup de rentre-dedans et de médiatisation, un zeste de nouvelles technologies (site web, mailing-list), une pointe de lobbying de salon (des dîners avec des personnalités politiques chez Pierre Vallet, son président). Fondée par Pierre Vallet, Géraldine Poirault-Gauvin et une poignée d'autres militants, Génération terrain prône "un renouveau" des structures politiques et leur ouverture à de "nouveaux talents". Constatant les "tôles successives" de la droite, elle l'explique sur un ton sarcastique, comme en témoigne un texte intitulé "Qui sont-ils?", sorte de profession de foi en négatif: "[...] Ils sont contre le cannabis, mais leurs enfants sont les plus gros fumeurs du lycée. / Ils nous disent que le racisme c'est mal, mais il n'y a pas un Beur à l'Assemblée... / [...] Ils ne sont pas vieux: ils sont "mûrs, indispensables et expérimentés"." Autre électron libre, Edwin Legris, 28 ans, chef d'une entreprise de vente de matériel informatique. Il a décidé de s'investir au niveau local. On cherchait un jeune pour représenter l'union de la droite aux élections cantonales de mars 2001 au Blanc-Mesnil (Seine-Saint-Denis). Il a été choisi et battu. Il est conscient de l'utilité des structures politiques, car "on ne réussit pas sans étiquette". Mais "il n'y a pas de retraités politiques, même battus, ils reviennent et restent en place jusqu'au cercueil. Les Jeunes doivent pousser pour prendre la relève. Il faut qu'on tape sur la table pour être entendus". Sourire Colgate et proximité Avec sa future femme, adhérente du RPR et de Génération écologie, ils ont monté l'association Mieux vivre au Blanc-Mesnil. Un tremplin pour s'imposer lors des prochaines élections municipales en 2007. Son truc, c'est la proximité. Il donne des coups de mains aux jeunes avec qui il joue au foot, publie son numéro de téléphone personnel sur la feuille trimestrielle qu'il édite, suit les affaires municipales, l'état des trottoirs, la gêne occasionnée par les locomotives diesel aux riverains de la gare de triage, fait signer des pétitions, etc. Sourire Colgate, raie sur le côté, barbe taillée en bouc, cravate, costume, il frappe aux portes des pavillons, dans les cités, sa feuille sous le bras: "Bonjour, je m'appelle Edwin Legris, candidat pour les prochaines municipales, pour que ça change au Blanc-Mesnil.". La voix est polie, un rien juvénile. Un vieux monsieur désagréable maugrée: "Bonjour et au revoir, ça ne m'intéresse pas!". Edwin coche une case "refus de dialogue" sur un listing. "Celui-là, je lui donne sa carte du FN sans problème", diagnostique-t-il. Un jeune père de famille qui vient de s'installer termine des travaux dans sa nouvelle maison. "J'étais à gauche parce que mon père, cheminot et immigré, s'est toujours fait exploiter. Mais, au pouvoir, elle n'a rien fait. j'ai quitté le quartier Stalingrad à Paris parce que c'est malfamé. Aujourd'hui, je suis propriétaire. La droite favorise les propriétaires, non ?". Le contact est passé. Il coche "BA" pour "Bon accueil". "Vous voyez, dit-il, les petits Blancs de plus de 60 ans nous claquent la porte au nez, et on papote un quart d'heure avec un jeune issu de l'immigration ! Pendant ce temps, les autres du RPR ne bougent pas de leur permanence. Et je vous dis pas comment un jeune Beur qui pousserait la porte serait reçu.". Ces ruades de jeunes impatients n'ont pas échappé au candidat Chirac. Ses plus proches conseillers les ont reçus, écoutés, questionnés. Ces dissidents légalistes sauront dans quelques mois si, contrairement à Stéphane Jourdain, il leur en restera autre chose que le sentiment de s'être fait "cocufier" avec des discours de lendemains qui chantent. "Soit ils bougent, soit ils sombrent", analyse Edwin. "Encore une défaite et ils sont morts", pronostique Pierre. En clair, "C'est nous ou le chaos". Des menaces ? Tout un programme. |